UN  MOT  DE  L'AUTEUR

 


 SOMMAIRE

SUIVANT    

 

- Avec mon père, à bord du Mauricien, décembre 1970 -

 

Je venais tout juste d’avoir six ans du 3 novembre 1971 lorsque quelques jours plus tard, le 9 novembre, j’apprenais un midi à la radio qu’un cargo français, le Maori, venait de sombrer au large du golfe de Gascogne. Cette annonce « lapidaire » était très lourde de conséquences pour moi. Je venais d’apprendre de façon très brutale que je ne reverrais plus mon père, qu’il ne rentrerait pas cette fois de ce voyage. Cette scène reste à jamais gravée dans ma mémoire....

Trente années après ce drame, plusieurs concours de circonstances me permirent d’en savoir un peu plus sur le naufrage du Maori. Malheureusement, il n’a pas été possible d’apporter une réponse certaine sur l’origine de la gîte qui lui fut fatale. J'espère que ce n'est que partie remise, qu'il me sera possible un jour de répondre à cette question : Pourquoi ?.... 

Il appartient maintenant au lecteur de se faire sa propre opinion sur les raisons du naufrage, au vu des documents proposés.

 Je reste pour ma part partagé entre deux hypothèses qui m’apparaissent comme les plus crédibles, à savoir un désarrimage de la cargaison de nickel où bien une défaillance structurelle du navire. J'aimerai revenir sur la première hypothèse, car c'est celle-ci qui  engendre le plus la controverse; s’il est certain que le Maori n’était pas surchargé, il reste néanmoins le seul navire de la compagnie à avoir été chargé avec un telle philosophie : l’on peut établir une comparaison avec le Vosges, sister ship du Maori , partit de Nouméa le 30 octobre 1971 ( soit 10 jours avant le naufrage du Maori ), avec une cargaison contenant 5134 tonnes de nickel sur une charge totale de 5557 ;

    -1° : Sur le Vosges, les panneaux en bois des entreponts étaient libres de tout fret, ou n’avaient reçu que des charges relativement faibles ; sur le Maori, les panneaux en bois des entreponts étaient tous chargés.

    -2° : Dans les cales et entreponts du Vosges, le nickel était surmonté et entouré de containers faisant clé en volume. Sur le Maori, si le chargement faisait effectivement clé de bâbord à tribord, le nickel n’était surmonté d’aucun fret ; l’usage voulait en effet que le fret de forte densité, qui occupait de fait peu de place dans les cales du navire, soit « calé » par des marchandises de faible poids mais nécessitant une grande place, tel des balles de coton, des containers vides etc.…Sur le Maori, la présence de 1003 tonnes d’huile de coprah ne permit pas de prendre des marchandises diverses qui auraient constitué un matelas protecteur empêchant un éventuel ripage du nickel.

   Le chargement du Maori se fit dans un contexte particulier ; c’est tout d’abord la grève de l’usine « le nickel » qui a pour effet une paralysie de la production et des exportations ; cette situation engendre une menace d’arrêt technique de l’usine du Havre de cette même société. D’ou obligation pour les Messageries par la société « le nickel » de charger au maximum les premiers navires à se présenter. Le Maori fut le premier. Comment maintenant expliquer l’absence de bois de fardage servant à éviter tout ripage de sa cargaison ? Le Vosges avait vu ses 5134 tonnes de nickel se charger avec du bois de fardage; le nickel était pourtant le même que celui embarqué par le Maori ; qu'est-ce qui justifiait donc que sur le Maori l'on se passe de fardage ? Il est impensable d’imaginer les responsables du chargement à bord rompre de leur propre chef avec des techniques qui ont fait leurs preuves, mettant ainsi leur propre sécurité en jeu (voir à ce sujet l'article très subjectif du Marin du 28/12/79 intitulé "Maître après Dieu ? "). Le fardage est une opération qui prend beaucoup de temps ; la société « le nickel » n’en avait pas, par voie de conséquence le Maori non plus. De plus, le chargement du Maori fut pour le moins "singulier"; en effet dans un premier temps le navire était chargé de nickel, puis celui-ci fut déchargé pour être remplacé par d'autre : Pourquoi ? Est-ce à partir de ce 2ème chargement que l'on n'a plus eu le "temps" de procéder au fardage ?  Enfin, le navire devait également décharger 2581 tonnes de nickel à Baltimore sur la côte Est des Etats-Unis et traverser l’atlantique qu’avec 4264 tonnes de nickel. Une grève des dockers Américains empêcha ce déchargement, le Maori fut donc dérouté sur l’Europe avec ses 6845 tonnes. C’est entre autre sur ce faisceau de circonstances et de décisions prises à terre que les parties civiles, représentées par des femmes de marins disparus, portèrent l’affaire devant les tribunaux ; la justice n’a pas suivi, déclarant la plainte irrecevable (sic !). Le lecteur appréciera : 38 marins périssent en mer à 600 km des côtes françaises et personne n’est responsable !

  Il reste particulièrement choquant de constater que :

 -1°: L'enquête nautique restait secrète ; par conséquent personne n'y avait accès, en tout cas les ayants-droits des victimes n'y avait pas accès.

 -2°: En cas de non lieu sur le plan disciplinaire et pénal maritime, l'administration des Affaires Maritimes, si l'enquête nautique laissait apparaître d'autres responsabilités que celle des "gens de mer"concernés, n'avait aucune obligation ni même le pouvoir de transmettre le dossier au Procureur de la République, afin de permettre à celui-ci de faire, le cas échéant, l'ouverture d'une information.

 -3°: Les ayants-droits des victimes en étaient réduits, dans l'ignorance absolue de l'enquête nautique, à prendre seuls l'initiative des poursuites par voie de dépôt de plainte contre X, alors que la plupart du temps (et c'était le cas pour le Maori ) l'ordre public est concerné (sur le plan de la sécurité notamment )!

   Il était important de rendre Hommage à cette action qui fut mené pour connaître la vérité.

  Une idée, assez répandue d'ailleurs, veut que le Maori ait été coulé par un missile tiré par la Marine Nationale lors d'exercices ; cela reste peu probable, et si tel est le cas, l'on sait depuis longtemps à quoi s'en tenir avec celle que l'on appelle non sans raison "la grande muette"! Je m'interroge également sur l'épisode de l'escorteur "Maille-Breze": il apparaît que le S.O.S du Maori a été capté en tout premier lieu par la veille radio de cet escorteur de la Marine Nationale qui se trouvait en exercice à la mer, à proximité du point présumé du naufrage du Maori. Le "Maille- Breze" qui était sans doute le plus proche du lieu du naufrage et par conséquent le mieux placé pour porter secours ne s'est pas dérouté. Les parties civiles, s'appuyant sur les déclarations du personnel de veille radio sur ce navire, évoquèrent cet épisode devant la justice ; celle-ci se déclara incompétente pour instruire, puisque ces faits, s'ils s'avéraient exacts, étaient de nature à mettre en cause des personnes relevant des juridictions militaires. Là encore, il sera difficile d'avoir des réponses.

 Enfin je m'interroge sur les projets du C.D.S.S ( Comex deep sea salvage, voir article du Marin du 09/11/71 ); Que voulait-on faire sur le Maori en 1989 ? Récupérer les 7000 tonnes de nickel ? Faisait on à cet endroit des travaux de géologie sous-marine ? On t-ils mis leur projet à exécution ? Dans un courrier daté du 17 décembre 1971 adressé à Monsieur Michel Debré, Ministre d’Etat Chargé de la Défense Nationale, le Président Grandval sollicite l’intervention de la Marine Nationale ainsi que l'aide de la Cnexo ( futur Ifremer ) pour que l’on examine l’épave à l’aide d’un bathyscaphe afin de déterminer l’origine de cette voie d’eau. A t-on inspecté l'épave du Maori par 5000 mètres de fond ?  C'est là que probablement l'on aura la réponse sur l'origine du naufrage du navire. Mais cette réponse n'intéresse désormais que ceux qui y ont laissé une grande part d'eux même.

Reste que le naufrage du Maori provoqua une prise de conscience dans la communauté maritime ; il est à l'origine de l'obligation qui est désormais faite à tout navire de disposer de combinaisons de survie pouvant permettre aux naufragés de lutter contre les effets de l'hypothermie. Mais il faudra attendre encore quelques années et d'autres drames pour qu'elle soit enfin imposée....

Les recherches faites ainsi que le nombre important de documents collectés m’ont incité à faire ce site du souvenir. Je l'ai fait en pensant à mon père, pour la mémoire des trente huit marins du Maori. Son but est également de rassembler le plus de témoignages et d'informations possible : le naufrage du Maori laisse trop de questions sans réponses. Il n’aurait pu toutefois se faire sans l’aide d’autres personnes ; je pense à Roland Grard, qui est l’auteur des textes des pages précédentes et avec qui j’ai fait de nombreuses recherches, à Alain de Bressy qui a eu la bonne idée de publier ses photos sur le site des Messageries, Philippe Ramona qui a créé l’excellent site consacré à l’histoire des Messageries Maritimes ( http://www.es-conseil.fr/pramona/p1mm.htm ). Mes remerciements vont enfin vers Jean-Yves Duclaud pour cette inoubliable rencontre trente années après le drame.

  Si vous avez apprécié ce site, s'il vous inspire quelques remarques ou si vous possédez des photos, des documents relatifs à l'histoire du Maori, faites le moi savoir :                                                           

 

 

 

 

 

Nicolas Prioux.

Novembre 2001.

 

- Mon père, dans la salle des machines du Malais, en 1960 -