LA  FIN  DU  MAORI 

 


 SOMMAIRE

SUIVANT    

 

  Si les circonstances du naufrage demeurent aujourd'hui encore mal définies, le témoignage de l'unique rescapé est l'élément essentiel quant à la connaissance du déroulement de cette catastrophe. Outre une excellente condition physique liée à la pratique de la plongée sous-marine, ce fut notamment le cas lors des escales en Polynésie, le lieutenant mécanicien Jean-Yves Duclaud doit la vie sauve à la combinaison de plongée qui lui permit de résister au froid jusqu'à l'arrivée des secours. A bout de force après avoir passé plus de six heures dans une eau à 15 degrés, il sera finalement repéré par le premier appareil de l'aéronavale envoyé sur zone. Celui-ci lui larguera un radeau de sauvetage puis guidera à sa rencontre le cargo Allemand Vegesack.

   De quart à la machine de 19h00 à 23h00, Jean-Yves Duclaud monta à la passerelle vers 23h30 et bavarda avec l'officier de quart Hubert De Thy avant de rejoindre sa cabine située à bâbord sur le pont des officiers. Le navire subissait alors un roulis d'environ dix degrés sous l'effet d'une houle de travers de force 6. A 3h00, il fut réveillé par l'appel au quart du 4eme mécanicien Édouard Ricard qui occupait la cabine voisine. Il remarqua que le roulis avait augmenté pour atteindre une quinzaine de degrés de chaque bord. Alors qu'il sommeillait, il remarqua vers 04h15 que le Maori venait brusquement de se coucher de 15 degrés sur tribord. Après avoir marqué un léger temps d'arrêt, le navire se mit à rouler avec la même amplitude que précédemment autour de cette position gîtée.

   Sa première réaction consista à faire passer sa combinaison de plongée sur le pont extérieur par le hublot de sa cabine. Il se précipita ensuite dans la coursive où il entendit de nombreuses portes claquer dans le navire. Il gagna alors le pont extérieur par la porte bâbord de la coursive transversale arrière. Sans s'occuper des échelles d'accès menant vers les ponts supérieurs, il rejoignit ensuite le pont des embarcations en grimpant sur le mâtereau du mât de charge n°4 bâbord en s'aidant des taquets et autres aspérités situées sur la cloison arrière du pont des officiers. Continuant à s'agripper aux rambardes en longeant la cloison du roof, il atteignit enfin le local du groupe électrogène de secours. Lors de son escalade, Jean-Yves Duclaud entendit deux klaxons d'alarme ainsi que  le bruit du désarrimage du nickel dans les cales arrières. En pénétrant dans le local, il fit fonctionner l'interrupteur d'éclairage, lequel s'alluma, et sentit les pulsations du moteur principal fonctionnant à une allure d'environ 90 à 100 tours/minute. La gîte, au moment où il lança le moteur de secours, à peine 5 minutes après avoir quitté sa cabine, atteignait déjà 25 à 30 degrés. Le moteur démarra au premier essai et c'est au moment où il atteignait son régime que le klaxon des sécurités des groupes électrogènes se fit entendre. Ces derniers, ainsi que le moteur principal stoppèrent en même temps. Aidé du seul éclairage de la lampe de sécurité alimentée par la batterie, il isola le tableau de secours du tableau principal et lança la commutatrice. En ressortant du local, il entendit un bruit d'arrachement et vit l'un des bossoirs de l'embarcation tribord se rompre, l'embarcation se retourna et resta suspendue, accrochée à l'autre bossoir. Alors qu'il remontait la pente du pont des embarcations, quelqu'un donna l'ordre de larguer les saisines de la baleinière. La gîte atteignait déjà 45 à 50 degrés. Jean-Yves Duclaud largua la saisine arrière et vit la baleinière se plaquer contre le roof en coinçant un matelot qui se mit à crier.

       Toujours à poste, le canot de sauvetage bâbord en acier ne pouvait être mis à l'eau à cause de la gîte. Hissé sur la passerelle supérieure, un matelot sortait des brassières de sauvetage d'un caisson de réserve et les jetait sur le pont des embarcations aux marins qui s'y trouvaient. Jean-Yves Duclaud se saisit de l'une d'elles et au même moment entendit cliqueter le manipulateur du poste radio. Il remarqua également la présence des deux lieutenants pont, l'un d'eux était occupé à dégager les saisines du radeau de sauvetage pneumatique situé à tribord sur la passerelle supérieure. Libéré, le radeau dévala la pente faite par le pont mais n'atteignit pas l'autre bord, le bout de retenue étant trop court. Le désarrimage de nickel était alors en pleine progression, il ne s'agissait plus de simples glissements comme au début, mais d'éboulements par paquets entiers qui provoquaient un grondement presque continu s'amplifiant à chaque coup de roulis.

    Jean-Yves Duclaud est alors redescendu au pont des officiers par le même chemin qu'à l'aller. Il atteignit le travers de sa cabine en marchant, non pas sur le pont mais sur la cloison avec une inclinaison assez faible, ce qui implique à ce moment une gîte  d'environ 75 degrés. Après avoir récupéré son vêtement de plongée, il gagna avec beaucoup de difficultés l'extérieur des superstructures où il revêtit sa combinaison isolante ainsi que son gilet de sauvetage. Couché maintenant à 90 degrés, le navire s'enfonçait inexorablement. Il ressenti alors une odeur de fumée âcre tandis que des volutes s'échappaient du compartiment machine, quelques instant plus tard l'intérieur du compartiment s'embrasa et deux petites explosions se firent entendre. Lorsqu'il se retrouva à l'eau, Jean-Yves Duclaud perçut une très forte explosion à l'intérieur du navire. Obsédé par l'idée de s'écarter des remous capables de l'entraîner vers le fond, il chercha à s'éloigner rapidement. Se retournant un instant il vit le navire se cabrer et s'enfoncer, très vraisemblablement par l'avant, la moitié du château encore visible, sous un angle de 40 degrés environ. Lorsqu'il se retourna à nouveau le Maori avait disparu. Il devait être environ 04h30 GMT, c'est à dire 05h30 en france.

    Très près de lui, revêtus de leur brassière de sauvetage, se trouvaient le second mécanicien Henri Rupin et le maître d'équipage Jackie Bodo. Plus loin dérivait le radeau pneumatique dans lequel quelqu'un semblait semblait scruter la mer avec une lampe torche. Il est vraisemblable que ce signal lumineux correspondait en fait au feu de position extérieur du radeau se balançant au rythme de la houle. Les naufragés se hélèrent pendant tout le reste de la nuit, mais au petit jour plus personne ne répondait aux appels de Jean-Yves Duclaud. Au cours de son long séjour dans l'eau, il a d'abord été environné d'une quantité importante d'huile de coprah solidifiée en boules de la grosseur d'un poing qu'il utilisa pour s'enduire le corps et se protéger du froid. Peu après, il dût s'écarter de la nappe de combustible en nageant du mieux qu'il pouvait malgré l'état de la mer. Il remarqua ensuite un caisson à vivres provenant de l'une des embarcations de sauvetage auquel il essaya de s'agripper sans succès, puis deux panneaux de cales et parvint à se hisser le torse sur l'un d'eux pour se reposer. Une bouée couronne lui offrit enfin une meilleure sustentation qui l'aidera ensuite à rejoindre le canot de sauvetage largué par le Bréguet-Atlantic qui le repéra vers 10h15 GMT.