LE  TEMOIGNAGE  DE  L'UNIQUE  SURVIVANT

 


 SOMMAIRE

SUIVANT    

 

- Le document qui suit est extrait d'une audition émouvante de Jean-Yves Duclaud, interrogé par Mr Roumeguere, Administrateur des Affaires Maritimes du Havre, le 18 novembre 1971.

 

    -J.Y.D : On est arrivé dans l'après midi, et on est reparti dans la nuit de Cristobal...... Je sais que le 14 et le 15 (ballast) sont pleins. Ce que je peux vous dire c'est que la veille j'ai fait un transfert de 30 tonnes dans la citerne, ce qui faisait 40 tonnes.

    -Question : Transfert de où à où ?

    -J.Y D : Des ballast 6 et 7 à la citerne. On a rempli les ballasts 2 et 3. On a fini le F.O par les ballasts 2 et 3......Quand on faisait un transfert de D.O, on aspirait dans le ballast 1 en service.

   -Question : Situation des doubles-fonds, quand aux ballasts à eau salée ?

   -J.Y.D : Je n'ai aucune idée qu'on ait fait un transfert; vous savez je ne l'ai pas en tête......On roulait un peu, je ne sais pas, 2 ou 3 degrés, pas appréciable quoi...on bougeait un peu.

   -Question : Quand la mer commença à se creuser ? Après avoir passé la frégate, la veille ?

   -J.Y.D : Oui, c'est ça, du 6 au 8 ça s'accentuait un peu : 3-4 degrés à ce moment là, c'était rien.....Alors après la frégate c'était 3-4 degrés.

   -Question : 3 - 4 degrés ?

   -J.Y.D : Oui, oui, c'était pas encore appréciable.

   -Question : Les journaux ont parlé d'une difficulté de la machine à 23 h.... 

   -J.Y.D : J'était de quart; oh non!

   -Question : Il n'y avait rien du tout, vous vous êtes couché normalement ?

   - J.Y.D : Voila, à 23h, j'étais remplacé de quart, je suis monté, vous savez ce que c'est, j'ai été "casser la croûte", et alors je suis monté à la passerelle voir mon collègue. On parlait un peu, là il m'a dit: "on a la houle de travers", je sais plus qu'est-ce qu'il m'a dit encore.....oui c'est ça, il m'a dit: "on a la houle du travers" et puis il m'a dit "ça force 6, force 7" oui. Pendant mon quart de 7 à 11h, on augmentait légèrement la gîte, on roulait, je me rappelle; vous savez pendant ma ronde je passais devant le gitomètre, je me rappelle que au maximum ça montait à 10°, voyez, de chaque bord, mais le maximum 10°........non, mais vous voyez, un coup c'est cinq, un coup c'était 7; ça j'ai bien vu qu'il y avait des vagues plus fortes que les autres quand j'étais dans l'eau....Comme je vous le dit, ça montait jusque 10°.........A 23h, à la fin de mon quart, alors au point de vue passerelle c'est ça, la houle est du travers, et puis force 6, force 7 quoi. A mon point de vue, moi mécanicien, j'y connais rien, on me dit ça. Pendant mon quart, je peux vous dire, la température était de 15°, la température de l'eau de mer, et l'extérieur 12-13°. Alors après je suis redescendu, j'ai pris ma douche et puis je me suis couché; déjà 10°, ça fait déjà pas mal pour se coucher, alors j'ai mis des oreillers, vous voyez, tout en dormant sans dormir. Vous savez, vous êtes là et j'ai entendu mon collègue Ricard prendre le quart, juste la cabine à côté de moi. On a des klaxons d'appel, des petits buzzeurs, je l'ai entendu se lever. Et alors là, après c'est là que la gîte s'arrêtait, voyez, pas la gîte mais le roulis.....on roulait comme ça, et puis ça c'est arrêté, là voyez, il y a quelque chose, un peu.

   -Question : Le bateau est resté avec une gîte constante ?

   -J.Y.D : Là voyez, il était sur le côté. Je me suis dit "tient, il se passe quelque chose". Alors j'ai bondi hors du lit, je m'explique pas, j'avais ma combinaison de plongée, je l'avais lavée la veille, qui était sur le canapé, je l'ai jetée par le hublot dans la coursive extérieure; j'ai même pas pris mon gilet de sauvetage, j'étais en pyjama et je suis sorti par l'arrière par la porte bâbord......Vous avez un plan ?.......Alors voyez, le temps que je fasse ça.....notre point fixe c'est 15° sur tribord; avec le roulis, disons que le bateau, maximum, variait de 0 à 30°.....Vous voyez, ma cabine est là, le 5éme mécanicien; alors moi je suis sorti par là, et alors là, vous voyez la gîte augmentait, c'était 30°.

   -Question : Au roulis ?

   -J.Y.D : Au roulis, oui, oui. Alors j'ai bien essayé de descendre, mais je pouvais pas, je voyais que ça augmentait; je suis pas passé par l'échelle.

   -Question : Il fallait monter pour vous ?

   -J.Y.D : Et bien oui; alors je suis monté le long du mâtereau en m'aidant par....il y avait le tour de la redresse, il y avait un genre de taquet, et puis je m'aidais du câble de redresse et je suis monté jusqu'au pont ici, sous l'embarcation, pont des embarcations. Alors là, je suis passé sous la baleinière, et alors j'entendais le nickel partir, oui à partir de 30° il augmentait sa gîte, alors j'ai commencé à l'entendre.

   -Question : Ça déboulait ?

   -J.Y.D : Oui, mais là ça commençait; au début c'était assez court comme bruit, voyez, rrrrr  rrrrr, et il augmentait toujours sa gîte. Alors, j'ai longé là; et puis je me tenais toujours, je suis passé le long du roof de la machine, je suis arrivé dans le local du groupe, alors j'ai lancé le groupe, et alors j'ai entendu les klaxons de sécurité: pression d'huile, pression d'eau de la machine. J'ai entendu que tout était stoppé; et puis le fanal qui était dans...il y a un fanal qui marche sur batterie par manque de tension dans le local du groupe, ça m'éclairait parce qu'il n'éclairait pas le tableau, il m'éclairait juste en face de moi; alors j'ai couplé le groupe, j'ai lancé la commutatrice, il y avait du courant, alors je suis ressorti et là j'ai voulu..

   -Question : Votre groupe, vous l'avez lancé manuellement à l'air ?

   -J.Y.D : A l'air.

   -Question : Il ne démarrait pas automatiquement par manque de tension au tableau principal ?

   -J.Y.D : Non non, à l'air, ou à la manivelle.

   -Question : Alors vous avez ouvert l'air ?

   -J.Y.D : J'ai ouvert l'air et j'ai mis en route. Alors je suis remonté, mais la gîte augmentait sans arrêt, alors j'ai voulu remonter à la passerelle et là quand j'ai été en face de la baleinière, on m'a dit, je ne sais pas qui, on m'a dit: "Larguez la saisine arrière de la baleinière". Alors j'ai largué la saisine et là, disons qu'un coup de roulis...la baleinière s'est écrasée contre le roof, il y avait un matelot qui a été écrasé contre la baleinière et le roof. A ce moment, il y avait un matelot, tout ça s'est passé très vite, qui était à la passerelle supérieure....dans un caisson...il jetait des brassières aussi à l'avant qu'à l'arrière; c'est là que j'ai attrapé la mienne, mais je l'ai pas capelée, je l'ai juste mise comme ça. Et j'ai vu le commissaire sur la passerelle supérieure qui était là où il y avait le "Bombard". Alors j'ai entendu qu'on lui a dit: "larguez le Bombard". Je l'ai pas vu parce que là il y avait 60° de gîte, mais j'ai entendu rouler sur la passerelle supérieure, j'entendais rouler et il a dit quelque chose comme: "le bout n'est pas assez long". Je ne l'ai pas vu dans l'eau, je l'ai entendu rouler. Moi je ne pouvais plus passer parce que , il y avait des rambardes qui étaient tordues avec l'histoire de la baleinière. J'ai pas pu aller à la passerelle.  ( déploiement de plan ).....Moi j'étais là, j'ai lancé....il y avait des caissons à sable, oui, mais moi, je crois que les brassières étaient dans ce caisson là. Moi j'étais là, j'entendais le radio travailler, on entendait le titititi, voyez c'est tout.

   -Question : En morse alors ?

   -J.Y.D : Ah oui! En morse, tatatata, j'entendait ça.

   -Question : Et votre groupe tournait toujours ?

   -J.Y.D : Ah bien oui toujours, toujours; même après quand j'étais sur le flanc, je voyais même par les cabines.

   -Question : Dans les coursives ?

   -J.Y.D : Pas beaucoup, mais c'était le circuit de secours, je le voyais, on voyait que toutes les lumières étaient allumées, pas toutes mais peut-être une sur trois;

   -Question : Par les lampes de secours qui se mettaient en route par manque de courant ?

   -J.Y.D : Non, il n'y avait pas de fanal. Il y avait des fanaux dans la machine, dans le groupe de secours, à la passerelle, chez le radio mais il y en a pas dans les coursives. Alors dans la hâte, je n'ai pas pu accéder à la passerelle; alors je suis redescendu parce que là, toutes ces rambardes qui étaient plaquées contre le........alors je suis redescendu ici, comme je suis monté, sans pouvoir dire si c'est par bâbord où tribord du mâtereau, je ne sais plus, je suis redescendu jusqu'à mon pont, où j'avais laissé ma combinaison, alors là je marchais sur le mur, vous voyez, sur la cloison du roof, je marchais sur la coursive extérieure bâbord, il y avait 70° de gîte; Le temps que j'arrive en bas, 70°. Alors je suis arrivé en face de ma cabine, j'ai pris ma combinaison.

   -Question : Vous étiez toujours en pyjama à ce moment là ?

   -J.Y.D : Oui, juste la brassière capelée; quand j'étais là, le pavois....ça faisait un mur, alors j'ai eu un mal fou à sortir par l'extérieur, mais je m'agrippait. Le pont....il y avait une espèce de rigole, je la revois encore, une espèce de renfort de pavois, enfin j'ai réussi à passer à l'extérieur, et alors quand j'ai été sur le flanc, j'ai capelé ma combinaison, et j'ai bien enfilé mon gilet. Et alors après j'étais sur le flanc, j'étais par là,....j'ai voulu remonter à l'aide des renforts, remonter le plus haut possible vers la passerelle. Alors quand j'étais là.....j'ai vu, je ne sais pas comment ils sont venus, il y avait le graisseur Le Manchec et l'élève radio à côté de moi. Voyez quand j'étais, ici....il y avait le second-mécanicien en uniforme, il y avait aussi Assoumani, je viens de m'en rappeler, il y avait l'électricien, il y avait le second capitaine, il y avait....voilà, c'est tout ce que je me rappelle.

   -Question : Ils avaient tous leur brassière ?

   -J.Y.D : Alors il y en a, je suis sûr, mais il y en a....?....le second mécanicien, j'en suis sûr, l'électricien, je suis sûr qu'il ne l'avait pas, le second capitaine, je ne sais pas, Le Manchec, je ne sais pas, l'élève radio, oui, il l'avait. Alors là, il (le navire) s'est stabilisé un peu, voyez il s'enfonçait légèrement, et là, j'ai senti une âcreté de fumée. Alors je me suis retourné, moi j'était couché, alors j'ai vu une fumée noire-grise, qui gonflait, qui montait, qui allait d'où j'étais, de bâbord à tribord, ça sortait par la cheminée.

   -Question : Ça sortait par la claire-voie ?

   -J.Y.D : C'était dans la machine, c'est ça. Alors après ça s'est estompé un peu, cette fumée; alors après c'était un brasier, c'était tout rouge, voyez, je le voyais par...

   -Question : C'était à l'intérieur ?

   -J.Y.D : Des réflexions oui, un halo, c'est ça. Ça faisait des réflexions autour. Et après j'ai entendu deux explosions, mais des petites: buouf, buouf......j'ai entendu le commandant, j'en suis sûr, dire:"ce n'est rien". Et alors après j'ai un trou, un genre de compression, vous voyez comme ça......j'ai un trou, je ne sais pas; il me semble une forte explosion, comme ça ....et je suis dans l'eau. Je ne peux pas dire que j'ai sauté, que j'ai marché le long de la coque, non, je ne peux pas l'expliquer.

   -Question : Quel temps faisait-il ? Est-ce qu'il faisait mauvais, est-ce qu'il pleuvait ?

   -J.Y.D : Non, non, il ne pleuvait pas, j'ai entr'aperçu un clair de lune, il était couvert de temps en temps par des nuages.

   -Question : Quand..

   -J.Y.D : Attendez, j'ai pas fini; quand je suis ressorti du groupe de secours, j'ai vu l'embarcation tribord, un des bossoirs, je ne peux pas dire si c'est l'avant ou l'arrière, casser, un genre d'étincelle, ça à cassé et là.....le groupe tribord, j'ai vu l'embarcation dans l'eau mais retournée et juste un bout d'embarcation qui sortait de l'eau, et puis en même temps, j'ai vu un graisseur monter par l'échelle......comment qu'il s'appelle....Prioux. Il montait par l'échelle du pont des embarcations, je le vois et il avait sa brassière de sauvetage.

   -Question : Quand vous étiez dans votre couchette, vous avez entendu le buzzeur, l'autre monter, puis tout d'un coup, le bateau qui, Hop, au lieu de la position 0 a pris la position d'équilibre 15° et rouler autour de ça ?

   -J.Y.D : Oui, enfin il roulait, il s'arrête, et puis après il repartait.

   -Question : Est-ce que vous vous êtes levé en vous disant, il se passe quelque chose. Est-ce qu'il y a eu une alarme générale, ou est-ce qu'il y a eu quelque chose, ou êtes vous de vous même allé mettre le groupe de secours en route ? 

   -J.Y.D : Je suis sorti, je me rappelle, le long du mâtereau j'ai entendu 1 coup de klaxon de 2 à 3 secondes, un arrêt, et encore un coup de klaxon de 2 à 3 secondes.

   -Question : Donc c'est une initiative de vous d'aller mettre le groupe de secours en route ?

   -J.Y.D : On ne m'a rien dit. Je me suis dit, il y aura toujours du courant. Parce qu'on faisait toujours des exercices de sécurité. La veille on l'avait fait par exemple; au tableau principal, je l'avais fait la veille. 1ère chose, lancer le groupe, stopper la ventilation; mais mettre de l'électricité d'abord.

   -Question : Oui, mais c'est une très bonne réaction.

   -J.Y.D : Oui mais ça on ne m'a rien dit. Si vous voulez, moi mon rôle de sécurité c'était chef ventilation / électricité, et mon rôle d'abandon c'était j'embarque.

    -Question : Quand vous avez mis le groupe de secours en route, vous avez eu l'impression qu'en bas ça tournait toujours ?

   -J.Y.D : Ah oui ! C'est une fois qu'il a été lancé, qu'il a prit son régime, disons 30 - 45 secondes. En entrant dans le local de secours, j'ai allumé la lumière, quand je suis entré dans le groupe, j'ai eu du mal à tirer cette porte, et vous voyez, il n'y avait pas de lumière, alors j'ai ouvert l'interrupteur et j'ai lancé le groupe.

   -Question : Vous avez lancé le groupe comme à l'exercice ?

   -J.Y.D : Comme à l'exercice; la machine au lieu de tourner à 105/106 tours, elle tournait peut-être à 100 ou 95 tours. Alors je sentais pour un mécanicien, que ce n'était pas son allure normale, mais avec une gîte de 15°- 30°, à ce moment là, disons que c'était normal.

   -Question : Il y a combien de temps que vous étiez sur ce bateau ?

   -J.Y.D : J'ai embarqué le 23 (juillet).

   -Question : Ce voyage là ?

   -J.Y.D : oui.

   -Question : Vous avez combien de temps de navigation ?

   -J.Y.D : 31 mois et 10 jours.

   -Question : Quelle est la gîte que vous estimez nécessaire pour faire désamorcer les pompes à combustible à peu près ? Les pompes à huile ?

   -J.Y.D : Oh alors là....parce qu'on avait fait un rajout d'huile justement 2 jours avant, je crois, alors il y avait les sondes de 23h....c'était 0,59 et 19.500

   -Question : Non ce n'est pas ça; c'est : le graissage est assuré par une pompe, les pompes peuvent se désamorcer dans certain cas, alors la gîte.....

   -J.Y.D : Oui mais vous savez on le sentait, par exemple à l'aller nous avions seulement comme sonde 0,53/0,51 au ballast 13; et bien, on a roulé 10 à 15°, mais là on entend le klaxon de niveau bas, les pompes ne désamorçaient pas, mais là on entend le klaxon de niveau bas, tandis que là, je ne l'ai jamais entendu. Quand j'était dans le groupe de secours, j'ai entendu le klaxon, mais je ne peux pas dire, parce que c'est le même klaxon pour le groupe que pour le moteur principal, que le groupe eau de mer, les pompes à huile, c'est le même klaxon.

   -Question : A votre avis, quand le moteur s'est arrêté, vous aviez à peu près combien de gîte ?

   -J.Y.D : A ce moment là, 40 à 45°.

   -Question : Par conséquent, votre impression de mécanicien, c'est qu'il ne s'est jamais passé quelque chose dans la machine ?

   -J.Y.D : Non, mais vous savez en tant que mécanicien, même calme plat, vous êtes réveillé. Vous avez ce ronronnement, s'il se passe quelque chose, vous ne savez pas quoi, mais vous vous dites:"tiens, il se passe quelque chose; là, non, pas du tout.

   -Question : Votre impression est très intéressante, parce que vous avez eu le réflexe, vous vous êtes dit "il se passe quelque chose, on ne sait jamais ce qui peut arriver, je met le groupe de secours en route, ce sera toujours ça de fait, de la lumière et de la ventilation". Mais la machine tourne puisque vous avez de la lumière. Il y a quelque chose lorsque la gîte a été importante, tout a déclenché.

   -J.Y.D : Oui, oui.

   -Question : Votre groupe est resté en route avec l'alimentation sur le secours ?

   J.Y.D : Ah oui, parce que je l'ai débranché du tableau principal, je vous dit, je l'ai lancé, ça s'est stoppé, j'ai eu ce fanal qui m'éclairait, alors j'ai débranché du tableau principal, je l'ai couplé et j'ai lancé la commutatrice.

   -Question : Il y a eu ce fameux canot pneumatique. Il y avait deux radeaux situés, un sur la passerelle supérieure, et le plus petit, à tribord passerelle inférieure; vous avez entendu rouler le gros ?

   -J.Y.D : Oui, oui ; c'est Mr De Thy, on lui a dit, je ne sais pas qui :" Larguez le radeau". Alors je ne l'ai pas vu faire, mais j'ai entendu rouler, ça faisait des bonds.

   -Question : Il a dit :"Le bout n'est pas assez long" ?

   -J.Y.D : Oui, ou "le fil n'est pas assez long". Il me semble que c'est le bout......Une fois que j'étais dans l'eau, j'ai vu beaucoup de remous et d'huile de coco figée qui remontait, les plus gros morceaux faisaient à peu près la moitié d'un savon de marseille. Alors là je me réveille dans l'eau, bon, il y avait le second mécanicien à côté de moi et le bosco qui était un peu plus loin, à 1 mètre de moi aussi, alors il avait sa casquette, le second mécanicien était en uniforme avec sa brassière. Il me semble avoir vu le chef mécanicien, il était en train de faire la planche, il avait une combinaison blanche, mais il était , mettons à 10-15 mètres de moi, et alors face devant moi, il y avait un Bombard avec une lampe torche qui scrutait comme ça; pas de lumignon mais une lampe torche, ça me frappait. Mais alors je l'ai vu, avec les vagues qu'il y avait, un coup je le voyais, un coup je ne le voyais pas; j'ai essayé de le rejoindre, mais je l'ai perdu après, disons que je l'ai vu pendant 5 minutes. Il s'éloignait, j'arrivais pas à le rejoindre.

   -Question : Quand vous avez vu le radeau, le navire était déjà coulé ?

   -J.Y.D : Ah non ! Parce qu'après j'ai essayé de le rejoindre et , alors là...attendez... non, non, j'étais dans l'eau, j'ai vu le canot, j'ai essayé de le rejoindre et je me suis retourné, et là j'ai vu le bateau suivant une pente de 40°, alors une partie du château était dans l'eau et une autre forme, là je ne peux pas dire si c'était l'avant ou l'arrière, j'ai juste cette image et une immense vague qui le couvrait. Après j'ai essayé  de m'écarter, j'avais peur des remous, j'en avais tellement entendu parler, ça aspire et tout ça. J'ai juste cette image me retournant, et puis je m'éloigne le plus possible. Mais au point de vue des mâts, je ne les revois pas.

   -Question : Les heures, vous vous êtes levé pratiquement à 3h ?

   -J.Y.D : A 4h oui.

   -Question : D'après vous, en combien de temps le navire a coulé ?

   -J.Y.D : Moi, à mon avis, maximum, je dis 15 minutes.

   -Question : Du moment où vous vous êtes levé ?

   -J.Y.D : Et moi dans l'eau, oui, 15 minutes le maximum, 12 à 13 minutes mais maximum 15 minutes.

   -Question : Vous avez eu des contacts avec l'élève radio et autres et vous avez entendu le radio émettre, manipuler. Est-ce que vous avez entendu des réflexions pour savoir s'il a manipulé avant ou après l'envoi du message en phonie ?

   -Question : Non, non, ce que je peux dire c'est que j'ai entendu "il faut envoyer le plan orsay... orsec", je ne sais pas ce que ça veut dire, j'ai entendu il faut envoyer le plan quelque chose. C'est le second capitaine qui disais ça, et le radio, oui c'est le radio qui a dit:"c'est fait"ou "je vais le faire. Oui, c'est tout, puis alors dans ces moments, on discute pas, on dit pas plus de mots. S'est passé si.......

   -Question : Vous avez vu De Thy, le second, le bosco, est-ce que vous vous rappelez si on a fait une réflexion très brutale sur le chargement ?

   -J.Y.D : Non, non, même dans l'eau, on s'accrochait avec le second mécanicien, il me tenait, je ne sais plus de quoi on parlait, mais pas du tout du bateau, et je me souviens d'une chose qui m'avait frappé, il m'a dit : "on est sain et sauf"; je lui ai dit :"non, pas encore". 

   -Question : Vous l'avez perdu longtemps après ?

   -J.Y.D : Oh, très peu de temps après. Je pense que c'est une déferlante. Je le tenais par la main et il est parti.....

   -Question : Ça déferlait ?

   -J.Y.D : Ça crétait de temps en temps. Le second mécanicien avait sa brassière. Je le revois encore en uniforme.

   -Question : Vous avez vu le radeau à quelle heure ?

   _-J.Y.D : Je tiens à vous le dire, quand on était dans l'eau, on s'appelait par nos noms, on disait : "Oh, Oh", et toute la nuit, au début il y en avait beaucoup qui répondaient. Moi j'appelais, je répondais et jusqu'au petit matin, le lever du jour, j'ai entendu qu'on s'appelait et après j'entendais plus rien. Puis dans la nuit, je suis rentré dans du mazout, mais j'enfonçait alors je reculais.

   -Questions : Le mazout, vous l'avez eu bien après que le bateau était coulé ?

   -J.Y.D : Ah oui, dans la nuit, je ne peux pas me rendre compte, ni la notion d'heure.

   -Question : Vous n'avez jamais éprouvé de difficulté avec vos brassières ?

   -J.Y.D : Non, pas du tout, je flottais bien. Je n'ai pas eu froid, il y avait de l'huile de coco figée, alors je m'en suis mis partout, aussi bien la combinaison que sur la figure, partout.... la brassière pour moi qui fait de la plongée, ça me sortait trop de l'eau, ça me maintenait trop hors de l'eau ; alors là, la matinée vers 9h30, j'ai vu des avions. Parce qu'avant j'ai rencontré un caisson de vivres qui a coulé aussitôt que j'ai essayé de l'approcher et puis 2 panneaux de cale en bois, le premier était très abîmé, mais il est parti et le deuxième je l'ai bien croché.

   -Question : Les panneaux de cale en bois sont dans les shelters et entreponts, mais cela n'implique pas que les panneaux Mc Gregor de fermeture soient partis, car il y a toujours de vieux panneaux qu'on traîne sur la dunette et les panneaux neufs, eux, sont arrimés à l'avant sous l'abris du gaillard .

   -J.Y.D : Le premier que j'ai eu, c'était un panneau neuf qui était très abîmé, il y avait un morceau qui était très abîmé, il en manquait un autre bout et le deuxième c'était un vieux. Alors après vers 9h30 10h moins le quart, j'ai vu les avions et le premier passage que j'ai vu, ils étaient un peu plus loin que moi, le deuxième il se rapprochaient, alors le troisième j'étais complètement...... je leur faisait des signes, je criais; alors après j'ai enlevé ma brassière et par le fil je battais l'air; alors là ils m'ont envoyé une petite fusée, ça fumait, il y avait une petite flamme. Après ils sont repassés au dessus de moi, et ils ont largués un petit radeau à 150 mètres de moi. Alors là  je l'ai rejoint, j'ai recapelé la brassière. Le fameux panneau de cale, celui que j'ai croché, j'ai monté le torse dessus, j'ai fait quelque mouvements. Alors par derrière moi, mais je ne l'avais pas vu arriver, une bouée couronne du Maori ; je l'ai accrochée à la petite échelle de l'embarcation, le radeau. Je suis monté dedans, là j'ai fait quelques mouvements, j'ai enlevé ma cagoule et j'ai fait quelques mouvements. Il y avait quelques déferlantes qui s'écrasaient sur la "toiture". Je voyais que le canot se dégonflait légèrement, alors j'ai lu le manuel d'instruction et j'ai vu qu'il y avait un petit compresseur dans la trousse ; alors j'ai ouvert la trousse et j'ai gonflé le bateau. Après j'ai entendu l'avion qui revenait, alors j'ai tenu à les remercier, je leur ai fait signe et en me retournant j'ai vu le cargo Allemand. Alors là il a essayé de faire tout ce qu'il pouvait pour s'approcher, mais le temps qu'il faisait... c'était un bananier lège, c'était pas.... et puis j'avais cette jambe qui était presque raide, des crampes partout, de compression avec la combinaison, et puis cette jambe.... j'ai eu un accident, j'ai été brûlé ; alors après je l'ai vu partir ce cargo, voyez là, je me suis dit : "ça y est, il va s'en aller".

   -Question : Vous l'avez engueulé quoi ?

   -J.Y.D : Ah oui ! Franchement c'est le mot, je m'excuse, je me suis dit :"ça y est p....n". Et alors après j'ai compris sa manœuvre, il est venu au vent pour dériver sur moi. Alors là, sans réfléchir ni rien, j'ai sauté à l'eau ; moi je nageais, il y avait des échelles de corde partout, des filets ; là j'ai eu la chance d'avoir une grande lame qui m'a monté très haut, je me suis accroché le long d'une échelle, je suis monté puis il m'ont aidés tout en haut.... je crois j'aurais été dans un creux je me serai écrasé le long de la coque. Alors ils m'ont frictionné, ils m'ont fait prendre un bain, je suis monté, d'après ce qu'a dit le commandant, vers midi un quart. Ils m'ont demandé ce que je voulais, je leur ai dit "un verre d'eau", car je buvais beaucoup d'eau, je me forçait à rendre, à éliminer le plus possible, et après ils voulaient me coucher. Je ne tenais plus en place, ils m'ont bien couvert, je suis monté à la passerelle ; alors toute la journée, tout l'après-midi, on a cherché avec le commandant, on est passé à côté des petits bateaux, à côté d'un bout d'embarcation, et dans cette nappe de mazout il y avait quelques types ; moi j'en ai vu 12, et le commandant 13. Mais ils dormaient.... ils étaient comme ça..... et là j'en ai reconnu un, parce que c'était un matelot, c'était le postal ; c'était un noir très carré, alors je l'ai reconnu dans l'eau. Mais sinon les 13 types étaient presque nus, en pyjama mais tous avec leur brassière. Le capitaine a fait tout ce qu'il a pu, ça je suis témoin, il a essayé de s'en approcher, il a fait tout ce qu'il a pu, il pouvait pas, il a essayé de repêcher des débris, un bout d'embarcation avec la grue qu'il avait, il y avait rien qui prenait ; et alors il a juste repêché le canot sur lequel j'étais, qui était complètement dégonflé.

   -Question : Vous êtes sorti de la cabine, vous avez été jusqu'ici, vous êtes monté contre le mâtereau ?

   -J.Y.D : Contre le mâtereau, là il y avait le touret, il y avait la poulie, je m'aidais de tout.

   -Question : Alors le bateau faisait 30° de gîte ?

   -J.Y.D : Le temps que j'arrive là,.... oui.

   -Question : Vous montez sur la passerelle et....

   J.Y.D : Vous voyez, en montant le long du mâtereau, j'ai entendu ces klaxons, le long, ça a stoppé et encore un coup bref, alors j'ai entendu le nickel. Quand j'arrivais à l'embarcation, il y avait 30°, j'ai entendu très... mais c'était beaucoup plus long.... ce que je veux dire c'est que le premier que j'ai entendu c'est du côté arrière, ça ne faisait pas beaucoup de bruit, ça faisait pas beaucoup de déplacement, tandis qu'après, quand il y avait une grande longueur, ça faisait un bruit, on entendait brbrbrbrbrbrbr.....

   -Question : Ce qui est important, c'est à partir du moment ou vous avez entendu un déboulé de nickel ?

   -J.Y.D : Oui.

   -Question : Et pourtant, il y a eu certainement quelque chose avant, auquel vous n'avez pas porté attention ?

   -J.Y.D : Oh mais pas ça, attention, je ne sais pas ! Il y en a peut-être eu, il y en a peut-être pas eu ; moi, j'ai dit quand je l'ai entendu.

   -Question : Également comme fond de décors, est-ce qu'il y avait du vent, est-ce que la mer faisait du bruit, est-ce que ça couvrait ?

   -J.Y.D : Il y avait un peu de vent, ça sifflait le long des oreilles ; j'entendais claquer le long de la coque, pas un bruit fort. Mes hublots étaient ouverts, j'avais stoppé la climatisation. J'aime bien dormir avec une petite fraîcheur, mes hublots étaient ouverts. Même mes rideaux ne bougeait pas, je sentais un peu l'air frais, mes rideaux vibraient un peu, ils se déplaçaient au roulis. Celui de l'avant était grand ouvert, celui de l'arrière tenait à l'écrou.... Je ne m'explique pas pourquoi j'ai jeté ma combinaison, pourquoi j'ai laissé mon gilet de sauvetage....

   -Question : Vous avez eu le réflexe d'aller au groupe de secours ?

   -J.Y.D : Oui. Pour moi c'était un réflexe. Je crois que tout les types que j'ai vu... j'ai vu  De Thy, j'ai vu  De Saint Palais , le Capitaine, le Commandant, je ne l'ai pas vu, je l'ai juste entendu faire cette réflexion :"ce n'est rien", il a sûrement dit beaucoup de choses, mais j'entendais pas tout. Ce que je peux dire quand j'étais sur le flanc, j'entend encore le second mécanicien qui était encore............ qui disait :"qui c'est qui est là".. "c'est le radio, il faut l'aider à sortir, t'as pas un bout ?" qu'il me dit, "mais j'ai rien moi"......Ils l'ont sorti... puisqu'ils l'ont repêché.........